paroles


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« Mais, au-dessous de cette pensée verbale, d’autant plus cohérente logiquement qu’elle est plus consciente et plus proche de sa réalisation orale ou graphique, il existe une vie mentale plus intime, moins consciente, mais extrêmement active, où les images jouent un très grand rôle. Ainsi, le souvenir émouvant d’un ami, d’une journée de vacances, d’un deuil, c’est d’abord une galerie de tableaux vivants, portraits et paysages, conservés par la mémoire, retouchés par l’oubli. »
 
EPSTEIN -Ecrits 2 - p.101 / AU DELA DE LA PENSEE VERBALE

 

 
 
 
 
« Ecrire de tout son corps » : empreindre. 
Non pas seulement laisser trace, mais croire qu’un corps peut tout (donner, souffrir, aimer) dans l’absolue certitude de sa perte ; dans sa quête infinie du sacré. Savoir qu’en ce point où le corps est d’encre, de peinture, de sang, le livre n’est plus rien, rien d’autre que le corps, périssable, immortel, silencieux.
En ce lieu de silence, des voix se lèvent, pourtant. Se regardent. Se prêtent mutuellement vie, s’apprivoisent.
Choses tues en dialogue, dans le silence bruyant de la couleur, le désordre des traits, la complicité des plis. Il y a là livre.
Aussi tout est-il à recommencer. »
 

Stéphane Mallarmé, Lettre à Eugène Lefébure, 27 mai 1867, Correspondance ; Lettres sur la poésie

 

 

 

 

 

« La musique, les états de félicité, la mythologie, les visages travaillés par le temps, certains crépuscules et certains lieux veulent nous dire quelque chose, ou nous l’ont dit, et nous n’aurions pas dû le laisser perdre, ou sont sur le point de le dire ; cette imminence d’une révélation, qui ne se produit pas, est peut-être le fait esthétique »

 

Jorge Luis Borges (1950)

 

 

 

 

Le texte ne « commente » pas les images. 
Les images n' « illustrent » pas le texte: 
chacune a été seulement pour moi le 
départ d'une sorte de vacillement visuel, 
analogue peut être à cette 
perte de sens
que le zen appelle un satori; texte et images,
dans leur entrelacs, veulent assurer la circulation,
l'échange de ces signifiants: le corps, le visage, l'écriture, et y lire le recul des signes.
 
Roland Barthes, L’empire des signes

 

 

 

 

 

« La solitude qui enveloppe les œuvres d'art est infinie, et il n'est rien qui permette de moins les atteindre que la critique. Seul l'amour peut les appréhender, les saisir et faire preuve de justesse à leur endroit. A chaque fois, dans toute discussion de ce genre, à l’égard de toute recension ou de toute introduction de cet ordre, donnez-vous raison, à vous, et à votre sentiment, et si toutefois vous devez avoir tort, c’est la croissance naturelle de votre vie intérieure qui lentement et avec le temps vous conduira vers d’autres conceptions. Conservez à vos jugements leur évolution propre, leur développement calme et sans perturbation, qui, comme tout progrès, doit avoir de profondes racines et n’être pressé par rien ni accéléré. Tout est d’abord mené à terme, puis mis au monde. Laisser s'épanouir toute impression et tout germe d'un sentiment au plus profond de soi, dans l'obscurité, dans l'ineffable, dans l'inconscient, dans cette région où notre propre entendement n'accède pas, attendre en toute humilité et patience l'heure où l'on accouchera d'une clarté neuve : c'est cela seulement qui est vivre en artiste, dans l'intelligence des choses comme dans la création. Le temps n’est plus alors une mesure appropriée, une année n’est pas un critère, et dix ans ne sont rien ; être artiste veut dire ne pas calculer, ne pas compter, mûrir tel un arbre qui ne presse pas sa sève, et qui, confiant, se dresse dans les tempêtes printanières sans craindre que l’été puisse ne pas venir. Or, il viendra pourtant. Mais il ne vient que pour ceux qui sont patients, qui vivent comme s’ils avaient l’éternité devant eux, si sereinement tranquille et vaste. C’est ce que j’apprends tous les jours, je l’apprends à travers des souffrances auxquelles je suis reconnaissant : tout est en l’occurrence affaire de patience. » 

 

 

Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète

 

 

 

 

« Sous notre regard, un phénomène étrange va se produire: nous allons oublier qu'il ne s'agit que de simple mains. Isolées du reste du corps et très grossies, ces mains que nous connaissons vont se transformer en des organes inconnus palpitant de leur vie propre. Le grossissement métamorphose l’objet filmé. Chez Proust, le narrateur anticipe une telle métamorphose (…). « D’abord, au fur et à mesure que ma bouche commença à s’approcher des joues que mes regards lui avaient proposé d’embrasser, ceux-ci se déplaçant virent des joues nouvelles ; le cou, aperçu de plus près et comme à la loupe, montra, dans ses gros grains, une robustesse qui modifia le caractère de la figure. » (A l’ombre des jeunes filles en fleur) Tout gros plan révèle des formations matérielles nouvelles et insoupçonnées ; telle texture de la peau évoque des photos aériennes, des yeux se transforment en lacs ou en cratères volcaniques. Ces images font exploser notre environnement en un double sens : elles l’agrandissent littéralement et, du même coup, elles font sauter la prison de la réalité convenue et y déploie des espaces que nous n’avons encore explorés, au mieux, qu’en rêve. »
 
Siegfried Kracauer, THEORIE DU FILM : la rédemption de la réalité matérielle
 
 
 
"On est artiste qu'à ce prix : à savoir que ce que les non-artistes nomment forme, on l'éprouve en tant que contenu, en tant que la chose même ; de ce fait, sans doute, on appartient à un monde à l'envers. Car désormais tout contenu apparaît comme purement formel, - y compris notre vie."
 
Nietzsche, Fragments posthumes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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07/06/2012
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